Le Sacre de Charles X

Le roi Charles X partit de Compiègne dans
le beau carrosse du sacre, le 27 mai 1825 avec Monsieur le Dauphin,
et prit une nuit de repos à Fismes, où il donna audience à l'archevêque
de Reims. Il arriva le 28 mai 1825 à Reims pour assister à la première
cérémonie, celle des vêpres.
M. l'archevêque de Reims, Jean-Baptiste
de Latil, vêtu de ses habits pontificaux et accompagné de ses suffragants,
les évêques de Soissons, d'Amiens, de Beauvais et de Chalons, tous
en chape et en mitre, l'a reçu sous un immense porche richement
construit dans le style gothique, en avant du portail de la sainte
basilique. Le chapitre de la métropole était aussi en chape. Le
Roi fut conduit processionnellement sous le dais jusque dans le
sanctuaire, précédé des services de sa maison civile et militaire,
et suivi des ducs d'Orléans et de Bourbon. M. l'archevêque de Latil
a présenté l'eau bénite à Sa Majesté, qui s'est agenouillée, et
a donné l'Évangile à baiser au Roi. Puis il a harangué Sa Majesté.
M. de Latil n'a eu de garde de manquer de l'à propos qui était de
position :
« Sire, aux vives acclamations de bonheur et d'amour
qu'excite dans mon diocèse la présence d'un Roi digne fils de Saint-Louis,
et aux sincères expressions de la reconnaissance et de la fidélité
de cette bonne ville, si heureuse de se voir encore la ville du
sacre, qu'il me soit permis d'ajouter les hommages et les vœux d'un
chapitre aussi recommandable par la pureté de ses principes, que
par la solidité de ses vertus et de tout un clergé qui connaît et
qui aime à remplir ses devoirs.
Quant à moi, Sire, j'ose me
croire dispensé de manifester des sentiments qui, invariables comme
mes principes, sont depuis longtemps connus de Votre Majesté.
Mais après avoir, comme un serviteur fidèle, pris part, pendant
une si longue suite d'année, à tous les évènements de la vie de
Votre Majesté, je dois aujourd'hui bénir hautement la divine Providence
qui, dans une cérémonie aussi remarquable par toutes ces circonstances,
m'a destiné à remplir auprès de votre auguste personne, la plus
belle, la plus consolante des fonctions de mon saint ministère,
et je rends grâce à Dieu, la sagesse éternelle, de vous avoir inspiré,
Sire, la grande et religieuse pensée de venir sanctifier la dignité
royale par un acte solennel de religion, au pied du même autel où
Clovis reçut l'onction sainte.
Car dans tout, soumis à votre
puissance, Sire, tout vous fera assez entendre que vous êtes chrétien,
tout vous dira que pour votre bonheur, comme pour le bonheur de
vos peuples, et afin d'accomplir les destins de Dieu, en marchant
sur les traces de tant de rois, dont par le droit de votre naissance,
vous portez la couronne. Oui, Sire, tout vous dira que vous êtes
le fils aîné de l'église et le roi très chrétien. Daigne le Roi
agréer l'expression de nos sentiments, daigne le ciel exaucer tous
nos voeux. »

Sa Majesté ayant fait sa prière, a été
complimentée par M. l'archevêque. Un chanoine a entonné l'antienne
Ecce ego mitto angelum meum, et on a conduit processionnellement
le Roi vers le sanctuaire, où Sa Majesté s'est placée à son prie-Dieu,
ayant à ses côtés les Princes. Les Princesses étaient dans des tribunes.
MM. les cardinaux étaient en avant du prie-Dieu, et les archevêques
et évêques appelés à la cérémonie occupaient des places dans le
sanctuaire. M. l'archevêque officiant a récité les oraisons Deus,
qui scis genus humanum et autres analogues, puis est allé se placer
dans les stalles avec ses suffragants, et a entonné les vêpres.
Cet office terminé, M. le cardinal de La Fare est monté en chaire,
et a commencé son discours. Après ce sermon, le prélat officiant
a entonné le Te Deum que le Roi a entendu debout. A quatre heures,
le Roi se retira dans le palais qui lui avait été préparé dans l'archevêché.
Le 29 mai 1825, à Reims, le roi Charles X se présenta de bon
matin au seuil de la basilique, accompagné de tous ses grands-officiers,
et de tous ceux qui portaient les insignes de la royauté. Une foule
immense obstruait les avenues de la basilique dès l'aurore, et avant
neuf heures du matin, les tribunes étaient occupées, dans le sanctuaire
à droite, par les députations de la chambre des pairs, les ministres
secrétaire d'état, les ministres d'état, les conseillers d'état,
les maîtres des requêtes, les gouverneurs des divisions militaires
; à gauche les grands officiers de la couronne et de la maison du
Roi.
Coiffé d'une toque, le Roi était habillé d'une tunique
écarlate où sept fentes avaient été aménagées pour les onctions
saintes. Sa Majesté s'est avancée vers le sanctuaire, et s'est placée
sous un dais en avant du choeur. M. l'archevêque de Reims a présenté
l'eau bénite au Roi. On a chanté sexte et M. l'archevêque s'était
revêtu des ses ornements pontificaux derrière l'autel. Sa chape,
d'une très belle exécution, était relevée en bosses d'or sur drap
d'or, l'agrafe était une pierre d'un gros volume et d'un grand prix,
richement enchâssée, et la mitre était ornée de pierres fines, qui
faisaient beaucoup d'effet. Toutes ces pierreries ont été montées
par M. Cahier, orfèvre du Roi, et les ornements et les broderies
ont été travaillés chez Mlle Quinet, au numéro 40 de la rue du Four,
à Paris. M. l'archevêque a apporté la Sainte Ampoule et a entonné
le Veni, creator. C'est pendant cet hymne que sa Majesté, la main
sur les Évangiles, et sur le reliquaire de la vraie croix, a prêté
les serments dans la formule qui avait été adoptée.
Le Roi a
ensuite prêté les serments comme chef et souverain, Grand-maître
des ordres du Saint-Esprit, de Saint-Louis et de la Légion d'Honneur,
qu'il a promis de maintenir sans les laisser déchoir de leurs glorieuses
prérogatives.
Sa Majesté ayant été conduite au bas de l'autel
par les deux cardinaux, a quitté sa robe de soie lamée d'argent
et sa toque, et n'a gardé que sa camisole de satin. Le grand-chambellan
lui a mis les bottines de velours, et M. le Dauphin les éperons
d'or. M. l'archevêque a béni l'épée de Charlemagne et en a ceint
le Roi, puis il l'a ôtée et la lui a remise nue avec les prières
prescrites.

Les deux cardinaux ont conduit le Roi pour
les onctions. On a ouvert le reliquaire de la Sainte Ampoule, et
M. l'archevêque en a pris une parcelle avec une aiguille d'or, et
l'a mêlé avec de saint chrême. Les deux cardinaux ont dénoué la
camisole du Roi pour les onctions. Sa Majesté s'est prosternée sur
un carreau au pied de l'autel, et MM. les archevêques de Besançon
et de Bourges, et les évêques d'Autun et d'Évreux, nommés pour chanter
les litanies, ont commencé ces prières.
Quand elles ont été
terminées, M. l'archevêque s'étant placé devant l'autel, s'est tourné
du coté du Roi. Sa Majesté s'est mise à genoux devant le prélat.
M. l'archevêque, la mitre en tête, a dit une oraison. M. l'évêque
de Soissons, qui faisait les fonctions de diacre, a présenté le
saint chrême à l'officiant. Celui-ci a fait les onctions : la première
sur le sommet de la tête, la seconde sur la poitrine, la troisième
entre les deux épaules, la quatrième et la cinquième sur les deux
épaules, et la sixième et la septième aux plis de chaque bras. Après
les onctions, on a revêtu le Roi de la tunique et dalmatique de
satin violet semé de fleurs de lys d'or et du manteau royal de velours
bordé d'hermine.
Sa Majesté, ainsi vêtue, s'est de nouveau mise
à genoux, et M. l'archevêque, toujours assis et la mitre en tête,
a béni les gants du Roi, son anneau, son sceptre, sa main de justice,
et les a remis successivement au roi avec les prières marquées dans
le cérémonial.
Les quatre maréchaux, Moncey, Soult, Mortier
et Jourdan avaient apporté devant l'autel le glaive, le sceptre,
la main de justice et la couronne. L'archevêque de Latil, posa sur
la tête du descendant de Saint-Louis la couronne de Charlemagne.
Les trois Altesses Royales, Monsieur le Dauphin, M. le duc d'Orléans,
Louis-Philippe et M. le duc de Bourbon, Louis Henri Joseph, ont
porté la main pour la soutenir. M. l'archevêque a béni la couronne
sans cesser de la toucher, et l'a posé seul sur la tête du Roi.
Dans le fond du chœur, du côté de la nef, paraissait le magnifique
jubé, sur lequel était placé le trône royal, qui s'élevait à plus
de quinze pieds. On y montait des deux côtés par un escalier de
trente marches, et le Roi pouvait y être vu de toutes les parties
de l'église. A droite et à gauche, étaient rangés en échelon les
drapeaux et guidons des différents corps de l'armée qui se trouvait
réunis au camp de Saint-Léonard et dans Reims. Puis Charles X marcha
vers le trône, avec grâce, aisance et dignité, sous le poids immense
de ces ornements royaux, et portant le sceptre et la main de justice.
M. l'archevêque officiant soutenait le Roi. Le vieux maréchal Moncey,
portant droite et nue l'épée de connétable, et le fidèle maréchal
duc de Bellune, le bâton de commandement à la main, marchaient parallèlement
à la tête de la monarchie vivante.
M. l'archevêque, tenant le
Roi par la main, l'a assis sur le trône en récitant les prières.
Puis ayant quitté sa mitre, il a salué trois fois Sa Majesté, l'a
baisée au front, et a dit trois fois à voix haute : « Vivat Rex
in aeternum ! » M. le Dauphin et les Princes se sont levés, ont
déposé leur couronne et sont allés saluer le Roi, en disant aussi
« Vivat Rex in aeternum ... »
Au même instant, tous les drapeaux,
portés par leurs colonels, s'inclinèrent et saluèrent le Roi. Les
portes s'ouvrirent. La foule se précipita à l'intérieur de la cathédrale
et put acclamer le souverain dans toute sa gloire, tandis que cinq
cent colombes lâchées dans la nef voletaient, affolées par le déchaînement
des orgues et l'odeur de l'encens. Armé, sacré, couronné, Charles
X se fit applaudir lorsqu'il sortit de la cathédrale, tandis que
l'artillerie tonnait sur les remparts, et que toutes les cloches
de la ville sonnaient.

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